Loi Carrez et preuve judiciaire de la superficie du bien vendu

Civ. 3ème, 5 mars 2020, pourvoi n°19-13.509 (P+B+I)

L’action en réduction du prix de vente sur le fondement de la loi Carrez (article 46 de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la loi du 18 décembre 1996) impose à l’acquéreur de prouver que la superficie du bien qu’il a acheté (un lot de copropriété) est inférieure de plus d’un vingtième (5%) à celle qui lui a été garantie par le vendeur.

Habituellement, l’acquéreur qui veut aménager les lieux s’aperçoit que la superficie réelle semble inférieure à celle qui lui a été vendue, et fait réaliser un nouveau métrage par un diagnostiqueur ou un géomètre-expert. Si ce métrage confirme ses soupçons, il demande amiablement une réduction du prix au vendeur (s’il en a encore le temps). En cas d’échec de cette tentative amiable, l’acquéreur dispose théoriquement d’une option : soit il demande une expertise judiciaire (tout en agissant au fond pour demander la réduction du prix), soit il agit directement en réduction du prix, sans passer par l’étape d’une expertise judiciaire, s’il estime disposer de preuves suffisantes de l’insuffisance de superficie.

On ne saurait que trop recommander de solliciter une expertise judiciaire, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (mais en agissant immédiatement après en réduction du prix, quitte à demander un sursis à statuer au juge du fond, car la demande d’expertise n’interrompt ni ne suspend le délai de forclusion de l’action, qui est d’une année à compter de la vente).

Ce n’est pas l’option qu’a choisie l’acquéreur dans les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 5 mars 2020. Fort de deux métrages amiables réalisés à sa demande, établissant que la superficie réelle était inférieure de plus de 5% à la superficie vendue, le vendeur avait directement agi en réduction du prix de vente.

Son action avait été rejetée par la cour d’appel de Toulouse au motif que les éléments de preuve produits aux débats (les deux métrages amiables) n’avaient pas été établis contradictoirement (en présence de toutes les parties et signé par elles).

En effet, le juge ne peut fonder sa décision sur un rapport d’expertise amiable qui n’a pas été établi de manière contradictoire. Cependant, comme le rappelle la Cour de cassation, la règle ne vaut qu’en présence d’un élément de preuve unique. Dès lors que plusieurs éléments de preuve, même non contradictoires, sont produits par une partie, et peuvent être discutés contradictoirement dans le cadre du débat judiciaire, le juge ne peut les écarter et peut fonder valablement sa décision sur ces pièces.

En l’espèce, la cour d’appel était bien saisie de deux métrages amiables réalisés à la demande de l’acquéreur, ce qu’elle avait constaté. Elle ne pouvait donc écarter ces pièces et devait statuer sur la demande de réduction du prix. La solution aurait été différente s’il n’y avait eu qu’un seul métrage amiable effectué à la demande de l’acquéreur.