Cession de fonds de commerce sur le domaine public municipal : que prévoit le code général des collectivités territoriales ?

Article L2224-18 du CGCT

Les articles 71 et 72 de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite Loi PINEL, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, concernent « l’utilisation du domaine public dans le cadre de l’exploitation de certaines activités commerciales ».

L’article 71 codifié à l’article L2224-18-1 du CGCT qui fixe le régime juridique des transmissions d’emplacements situés sur les halles et marchés, dispose  :

« Sous réserve d’exercer son activité dans une halle ou un marché depuis une durée fixée par délibération du conseil municipal dans la limite de trois ans, le titulaire d’une autorisation d’occupation peut présenter au maire une personne comme successeur, en cas de cession de son fonds. Cette personne, qui doit être immatriculée au registre du commerce et des sociétés, est, en cas d’acceptation par le maire, subrogée dans ses droits et ses obligations.

En cas de décès, d’incapacité ou de retraite du titulaire, le droit de présentation est transmis à ses ayants droit qui peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’eux. A défaut d’exercice dans un délai de six mois à compter du fait générateur, le droit de présentation est caduc. En cas de reprise de l’activité par le conjoint du titulaire initial, celui-ci en conserve l’ancienneté pour faire valoir son droit de présentation.

La décision du maire est notifiée au titulaire du droit de présentation et au successeur présenté dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Toute décision de refus doit être motivée ».

Cet article reconnait au titulaire d’une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) délivrée pour un emplacement situé dans une halle ou un marché, un droit de présentation au Maire, d’un successeur, « en cas de cession de son fonds de commerce ».

L’article L2224-18-1 ne pose qu’une seule condition à l’exercice du droit de présentation : le successeur doit être immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS).

Le second alinéa du même article définit les modalités de transmission du droit de présentation aux ayants droit en cas d’incapacité, de retraite ou de décès, lesquels peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’entre eux.

2. Date d’entrée en vigueur du dispositif

Le conseil d’Etat et la Cour de cassation divergent sur la date d’entrée en vigueur du dispositif.

Selon le conseil d’Etat, « ces dispositions [articles 71 et 72 de la loi Pinel] ne sont, dès lors que la loi n’en a pas disposé autrement, applicables qu’aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur » (CE, 24 novembre 2014, société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, 352402).

Cependant, la Cour de cassation, qui juge depuis longtemps que les commerçants ambulants titulaires d’un emplacement sur un marché municipal peuvent détenir un fonds de commerce auquel est attachée une clientèle susceptible de faire l’objet d’une cession (Ch. Commerciale, 7 mars 1978, n° 76-13.388), a considéré que ces dispositions étaient applicables aux fonds de commerce constitués avant leur entrée en vigueur (Ch. civ. 3, 4 avril 2018, n°17-10.466, à propos des voiliers du bassin du Jardin du Luxembourg).

Selon la Chambre commerciale (4 février 2014, 12-25528), il est possible d’être « détenteur d’un fonds de commerce auquel est attachée une clientèle bien que la concession d’un emplacement sur un marché municipal dont le commerçant était bénéficiaire fût un bien hors commerce, ni cessible, ni saisissable »).

Les collectivités locales ont donc la faculté d’admettre la présentation d’un successeur formée par un commerçant bénéficiaire d’un titre d’occupation du domaine public délivré antérieurement au 18 juin 2014, étant observé que le transfert d’une autorisation ou d’une convention d’occupation du domaine public à un nouveau bénéficiaire est possible dès lors que le gestionnaire de ce domaine a donné son accord écrit (CE, 18 septembre 2015, Sté PREST’AIR n°387315) et ce nonobstant le caractère personnel des autorisations unilatérales (CE 10 mai 1989, n° 73146, Munoz) ou contractuels (CE 19 janv. 2011, n°323924, Commune de Limoges, Lebon T. 923).

3. Conditions d’application

Le commerçant doit présenter un titre écrit, en application de l’article R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques suivant lequel « L’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire, et révocable, par la voie d’une décision unilatérale ou convention » et de la jurisprudence du conseil d’Etat suivant laquelle « une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit »  (CE, 19 juin 2015, société immobilière du port de Boulogne, 369558).

Il appartient donc à la collectivité publique de délivrer un titre écrit préalablement à toute occupation du domaine public.

Le cédant doit bénéficier d’une AOT d’une ancienneté minimale dont la durée est fixée par la délibération municipale mentionnée à l’article L2224-18-1 du CGCT. La quasi-totalité des communes dont nous avons connaissance, ont fixé ce délai minimal à trois ans.

Le calcul de l’ancienneté risque de poser problème lorsque le cédant se prévaudra d’un titre dont il ne sera pas personnellement le titulaire (mais le fils, le frère, le neveu, le cousin, le mari, …)

Le commerçant doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés.

Lorsqu’une personne morale (SARL, SAS, …) exploite l’activité commerciale, il est loisible à l’autorité municipale gestionnaire du marché de transférer l’AOT à la structure sous réserve de s’assurer que son représentant légal, est immatriculé au RCS.

Délivrer l’AOT à la personne morale permet d’assurer la continuité de l’activité commerciale en cas de changement de dirigeant.

Le commerçant doit céder son fonds de commerce : c’est une condition sine qua non de l’exercice du droit de présentation.

Le repreneur doit donc exploiter le même type de commerce et commercialiser le même produit.

Il n’appartient pas à la Commune de contrôler l’existence du fonds de commerce ; en revanche, le repreneur peut contester la valeur du prix de cession, à l’appui d’une action dirigée contre le cédant, la Commune ne pouvant s’immiscer dans des relations commerciales de droit privé.

En effet, au cours des débats parlementaires, les députés ont considéré :

« Afin de garantir l’effectivité de ce droit, il est prévu que le gestionnaire ne peut refuser à la personne présentée comme successeur l’autorisation de s’établir à titre exclusif dans un emplacement du marché si elle est inscrite au registre du commerce et des sociétés et si elle exerce les mêmes activités que son prédécesseur » (Rapport AN, n°1739, 29.01.2014, p. 197)

Avant même l’entrée en vigueur des articles 71 et 72 de la loi Pinel, le juge judiciaire ne voyait aucune antinomie entre la notion de fonds de commerce et celle de domaine public (Com. 14 oct. 1965, Bull. civ. IV, n° 499 ; Civ. 3e, 19 mars 2003, n° 01-17.679, Bull. civ. III, n° 66 ; Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 11-28.251).

La Cour de cassation dissocie clairement droit au bail et fonds de commerce en jugeant que, « quelle que soit son importance, le droit au bail ne constitue pas, de plein droit, un élément nécessaire du fonds qui peut exister en dehors de lui » (Com. 27 avr. 1993, n° 91-10.819, Consorts Schertzer c/ Mme Walter, D. 1993. 129; RTD com. 1993. 488, obs. J. Derruppé). Si la précarité de l’occupation domaniale exclut, en l’état du droit, qu’un bail commercial puisse être conclu sur le domaine public, elle n’exclut pas l’existence d’un fonds de commerce. L’absence de droit au bail ne suffit par conséquent pas à écarter un tel fonds (Com. 17 sept. 2013, n° 12-16.209 ; Com. 28 mai 2013, n° 12-14.049, LPA 6 nov. 2013, note C. Humann ; Com. 4 févr. 2014, n° 12-25.528).

Le conseil d’Etat, en revanche, excluait la possibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public, eu égard au caractère révocable et personnel, d’une autorisation d’occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire » (CE, 24 novembre 2014, société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, 352402 ; CE, 31 juillet 2009, Sté Jonathan Loisirs, n°316534).

Un commerçant non sédentaire exerçant sur le domaine public doit être présumé titulaire d’un fonds de commerce, puisqu’il justifie d’une clientèle propre, compte tenu de la nature et de la qualité de ses produits, de son savoir-faire, de son ancienneté, de son assiduité et aussi de son emplacement.

Sans l’envisager ni l’interdire, la loi PINEL laisse entière la question de savoir si un commerçant non sédentaire peut céder partiellement son fonds de commerce, en fonction notamment du lieu et/ou du jour du marché.

Plusieurs hypothèses doivent être distinguées à partir des exemples suivants.

  • un commerçant déballe les mardis, vendredis et dimanches sur un marché M1 de la Ville V.

Désireux de réduire son activité pour tout motif personnel (ou médical), ce commerçant décide de ne travailler que le dimanche. Il choisit alors de présenter au Maire un successeur X sur le marché du mardi et du vendredi, et le cas échéant, un successeur X pour le mardi, un successeur Y pour le vendredi.

Dans cette hypothèse, il y a lieu de considérer que le droit de présentation n’est recevable que si l’AOT est divisible, sachant que la question de la divisibilité du fonds de commerce ne relève pas de l’appréciation de la commune mais des deux commerçants, cédant et cessionnaires qui sont libre de s’accorder sur la conclusion d’un acte de cession partielle du fonds de commerce.

  • un commerçant déballe les mardis et vendredis sur un marché M1 et le dimanche sur un marché M2 de la Ville V.

Ce commerçant souhaite cesser son activité sur le marché M1 mais la poursuivre sur le marché M2.

Il semble que la situation soit plus simple que dans l’hypothèse ci-dessus car dans ce cas, il est probable que le commerçant bénéficie d’une AOT pou le marché M1 et une AOT pour le marché M2. Par hypothèse, les deux AOT étant distinctes, rien ne fait obstacle à ce qu’un commerçant puisse céder partiellement son fonds de commerce en vue de son exploitation sur un seul emplacement. Dans ce cas, le commerçant exercera son droit de présentation d’un repreneur d’une partie de son fonds de commerce.

  • un commerçant déballe le mardi sur un marché M1 de la ville V1 et le mercredi sur un marché M2 de la Ville V2

Dans ce cas, le commerçant peut exercer son droit de présentation devant le maire de chacune des communes V1 et V2.

4. Exercice du droit de présentation

4.1 A l’initiative du commerçant

En cas d’acceptation par le maire, le successeur est subrogé dans les droits et les obligations du cédant. Le titre initial est donc transféré au repreneur, avec les mêmes charges et conditions d’utilisation de l’emplacement : nature du produit vendu, localisation de l’étal, dimensions, durée de l’autorisation.

4.2 En cas de décès, d’incapacité ou de retraite du titulaire.

Ces hypothèses sont expressément prévues par l’article L2224-18-1 du CGCT.

Elle soulève plusieurs difficultés que seule la jurisprudence ultérieure permettra de résoudre.

1°) En cas de cession motivée par un départ à la retraite du titulaire de l’AOT, ce dernier peut parfaitement exercer son droit de présentation directement, sans qu’il soit transmis à ses ayants-droit. Dans ce cas, tout se passe comme si le commerçant faisait usage de son droit de présentation propre, tel que prévu au premier alinéa de l’article L2224-18-1 du CGCT.

2°) En cas d’incapacité ? La loi est muette sur le degré d’invalidité du commerçant. En revanche, on ne voit pas que la Commune puisse apprécier l’état d’invalidité du commerçant.

Il appartiendra donc au Maire de tenir pour acquis la reconnaissance du statut d’invalide constaté dans les formes prescrites par la législation en vigueur.

3°) Le droit de présentation est transmis à ses ayants droit qui peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’eux ?

La loi ne règle pas le problème de plusieurs ayants-droit qui se disputeraient le droit d’exercer le droit de présentation. Dans cette hypothèse, la Commune devra statuer sur le repreneur présenté par l’ayant-droit qui s’adressera à elle en premier, ou sur ce dernier qui peut décider de reprendre le fonds commerce, sauf aux autres ayants-droit de leur faculté de contester ce droit en justice pour faire valoir leur droit à exercer leur droit de présentation.

4°) Le droit de présentation doit être exercé dans un délai de six mois à compter du fait générateur.

Il conviendra de considérer comme fait générateur, la date du décès, la date à laquelle le commerçant aura fait valoir ses droits à la retraite (document de la caisse de retraite) et la date de notification du taux d’invalidité par l’organisme compétent.

A l’issue du délai de six mois, le maire a le droit d’attribuer l’emplacement dans les conditions prévues par le règlement de marché.

5°) En cas de reprise de l’activité par le conjoint du titulaire initial, celui-ci en conserve l’ancienneté pour faire valoir son droit de présentation.

La loi ne précise pas la nature du lien entre le commerçant et son conjoint.

S’agit-il du conjoint marié ? pacsé ? concubin notoire ? Là aussi, la Commune ne pourra s’immiscer dans des considérations d’ordre privé et devra s’en tenir, en l’absence de mariage ou de pacs, à une déclaration sur l’honneur. Cependant, en cas de décès, il sera malaisé pour le « conjoint » survivant d’établir sa qualité de concubin.

5. Conciliation de l’article L2224-18-1 du CGCT avec les règles de publicité et de mise en concurrence par l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017

Aux termes de l’article L2122-1-1 du CG3P issu de cette ordonnance, « Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».

Le Député Patrick VIGNAL a interpellé le ministre de l’économie et des finances pour obtenir des précisions sur le combinaison du droit de présentation (L2224-18-1 du CGCT,) qui suppose un accord entre deux commerçants sur les conditions de cession d’un fonds de commerce et l’obligation qui pèserait sur les maires de publier la vacance de l’emplacement en cas de cession.

La position ministérielle est claire : « les nouvelles obligations de publicité et de sélection préalables prévues par l’article L. 2122-1-1 du CG3P ne s’appliquent pas aux hypothèses prévues par les articles L. 2124-34 du même code et L. 2224-18-1 du CGCT. En effet, la présentation d’un successeur intervenant dans le cadre de la cession du fonds de commerce, lorsqu’elle est acceptée par l’autorité gestionnaire du domaine public, ne donne pas lieu à délivrance d’un nouveau titre d’occupation du domaine public, le successeur étant subrogé dans les droits et obligations du cédant » (Question AN, n°6260, réponse publiée au JO du 4/12/2018 p. 11021)