Coup de tonnerre sur AirBnb: restriction drastique des conditions de la location touristique de courte durée

Civ. 3ème, 18 févr. 2021, pourvoi n°17-26.156 ; Civ. 3ème, 18 févr. 2021, pourvoi n°19-13.191 ; Civ. 3ème, 18 févr. 2021, pourvoi n°19-13.462

La solution

Par trois arrêts rendus le même jour, publiés sur son site internet et faisant l’objet, chacun, d’un communiqué de presse, la Cour de cassation vient consacrer le pouvoir des communes d’intervenir pour réguler la location de courte durée. A Paris et dans les communes « sous tension », on ne peut, sans autorisation de la commune, louer plus d’une fois dans la même année un local à usage d’habitation à une clientèle de passage.

Les communes regagnent un avantage substantiel dans le bras de fer qui les oppose aux plateformes de location de courte durée (type AirBnb) et à leurs usagers.

Au sens de l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH), qui est jugé conforme à la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, deux courtes locations d’un même local à usage d’habitation, durant la même année, constituent un changement d’usage, qui n’est possible que sur autorisation de la commune du lieu de l’immeuble.

Cette solution est applicable dès lors qu’un logement meublé est loué à plus d’une reprise au cours d’une même année, pour une durée inférieure à un an (à la nuitée, à la semaine ou au mois), à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale.

Les données du litige

La règle fixée par l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH) est claire : « le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est (…) soumis à autorisation préalable ». Cette autorisation relève du pouvoir de la commune, représentée par son maire.

Et depuis la loi ALUR du 24 mars 2014, le texte dispose en son dernier alinéa que :

« Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article ».

Ce texte, qui s’applique dans les communes de plus de 200.000 habitants et dans les départements limitrophes de Paris, permet au maire d’assurer l’équilibre indispensable entre logement, activités de bureaux ou activités commerciales (lesquelles peuvent s’exercer dans des locaux destinés à l’habitation). Le propriétaire qui loue un local à usage d’habitation doit, s’il veut le louer de manière répétée pour de courtes durées, à une clientèle de passage, obtenir une autorisation de changement d’usage (de la même manière que s’il voulait transformer son local en bureaux…). Il ne s’agit plus d’habitation mais de location touristique.

L’usage (qu’il ne faut pas confondre avec la destination de l’immeuble, qui est une notion de droit de l’urbanisme) distingue ainsi, d’une part l’habitation, d’autre part les autres usages.

La Cour de cassation rappelle à l’occasion que l’usage d’un local est fixé à la date du 1er janvier 1970, et que la preuve d’un usage d’habitation ultérieur est inopérante (solution déjà donnée par Civ. 3ème, 28 mai 2020, pourvoi n°18-26.366).

La question, qui était donc de savoir dans quelle mesure la location répétée de courte durée constituait un usage distinct de l’habitation, imposait une réponse sur plusieurs points : la solution de l’article L.631-7 du CCH était-elle conforme à la directive ? Que fallait-il entendre par « courte durée » et par location « répétée » ?

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation vient de préciser la réponse, en donnant raison par trois fois à la Ville de Paris, du moins sur l’essentiel, contre deux sociétés civiles et un couple de particuliers qui louaient leurs appartements sur des plateformes de type AirBnb.

Le droit français conforme à la directive « services » de l’Union Européenne

Afin de savoir dans quelle mesure le maire disposait du pouvoir de limiter cet usage, la Cour de cassation avait pris soin, par un précédent arrêt du 15 novembre 2018 (pourvoi n°17-26.156), d’interroger la Cour de justice de l’Union Européenne par une série de questions préjudicielles. Il s’agissait de savoir si la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur s’appliquait à la location de courte durée (donc, s’il s’agissait bien d’un service), et si la directive ne s’opposait pas à un régime d’autorisation tel que celui mis en œuvre par l’article L.631-7 du CCH.

En effet, dans un système d’économie libérale, la directive n’admet pas que l’exercice d’une activité de services soit soumise à une autorisation administrative, sauf par exception et à des conditions strictes. Une exception est admise par les 9 et 10 de la directive, qui permet un régime d’autorisation, qui ne doit pas être discriminatoire, qui doit être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et être proportionné à cet objectif, et dont la mise en œuvre doit être encadrée.

Par un arrêt du 22 septembre 2020 (C-724/18 et C-727/18), rendu dans l’une des trois affaires soumises à la Cour de cassation, la CJUE a considéré que la directive était bien applicable à l’activité de location en meublé de courte durée. Elle a également jugé que la directive ne s’opposait pas à un système d’autorisation, tel que celui mis en œuvre par l’article L.631-7 du CCH.

La CJUE a, en effet, considéré que l’objectif de garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables pouvait conduire à soumettre l’activité de location meublée de courte durée à un régime d’autorisation préalable applicable dans certaines communes, où la tension sur les loyers est particulièrement marquée. La CJUE a ainsi admis que cette solution était justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi, et qu’il n’existait pas d’autre solution possible…

Forte de cette décision, la Cour de cassation vient ainsi de juger que l’article L.631-7 du CCH, qui confie au maire le pouvoir d’autorisation, était conforme aux articles 9 et 10 de la directive. C’est la conséquence attendue de l’arrêt de la CJUE.

Précisions sur l’article L.631-7 du CCH

La Cour de cassation a par ailleurs précisé que la « courte durée » devait s’entendre d’une durée inférieure à un an (hormis le cas d’un bail consenti pour 9 mois au moins au profit d’un étudiant, du bail mobilité de un à dix mois, et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur).

S’agissant enfin de la répétition de la location, la Cour considère qu’il suffit de deux locations dans une même année : la dualité de locations suffit à constituer une répétition.

Conséquences pratiques

La location d’un local à usage d’habitation, par l’intermédiaire d’une plateforme de type AirBnb, dans les communes pour lesquelles est applicable l’article L.631-7 du CCH, n’est possible qu’après autorisation de changement d’usage, dès lors que cette location intervient plus d’une fois dans la même année.

Sans présumer des décisions des maires des communes concernées, on peut supposer que les autorisations seront particulièrement rares. Les effets néfastes de la location de courte durée, tant sur la location classique au profit d’habitants pérennes, que sur la tranquillité des immeubles en copropriété, sont souvent soulignés.

Sans autorisation de changement d’usage, il ne reste possible de louer pour une seule période de moins d’un an (à un seul locataire ou groupe de locataires donc, car sinon il s’agit de deux ou plusieurs locations). Cette faculté intéressera uniquement les propriétaires d’appartements à usage d’habitation (la sous-location étant interdite) souhaitant, pour une période de vacance, louer celui-ci pour une période unique inférieure à un an (pour une ou plusieurs nuitées ou semaines consécutives).

Les sanctions pour le contrevenant sont lourdes : une amende civile pouvant atteindre 50.000 € (versée à la commune) et l’obligation de restituer aux lieux leur usage d’habitation sous astreinte.