L’acquisition d’un immeuble par prescription trentenaire par le titulaire d’un titre de propriété non publié

Civ. 3ème, 17 déc. 2020, pourvoi n°18-24.434

C’est une affaire à rebondissements sur laquelle vient de se prononcer la Cour de cassation. L’enjeu : savoir si le titulaire d’un titre de propriété immobilière non publié peut invoquer sa possession de l’immeuble depuis plus de trente ans contre celui dont la propriété sur le même immeuble est reconnue par un titre régulièrement publié…

L’affaire débute en 1961 : le propriétaire d’une parcelle vend une partie de celle-ci à un propriétaire de parcelles voisines, par acte sous seing privé. L’acquéreur prend possession de la parcelle vendue, qu’il utilise comme parking desservant un restaurant, mais décède avant la régularisation de l’acte authentique. Ses ayants droit obtiennent un jugement valant vente en 1976, confirmé par arrêt d’appel irrévocable en 1980 (rendu sur renvoi de cassation).

Ce jugement valant vente n’est jamais publié, mais la parcelle est occupée par les bénéficiaires du jugement.

Par la suite, les ayants droit du propriétaire initial (qui avait vendu la parcelle litigieuse en 1961), vendent de nouveau ladite parcelle, par acte du 23 août 1995, à une société Prevalim. Cette société publie son titre de propriété.

Ainsi, la parcelle a été vendue deux fois : d’abord à un premier acquéreur qui n’a jamais publié son titre de propriété mais occupe effectivement la parcelle, ensuite à un second acquéreur qui a publié son titre mais qui, par hypothèse, n’occupe pas la parcelle.

Quelques années plus tard, en 2013, la société Prevalim fait assigner les occupants de la parcelle litigieuse pour les faire condamner à libérer les lieux.

Ces derniers, qui n’ont pas publié leur titre de propriété résultant de l’arrêt d’appel de 1980, se prévalent alors de la possession de la parcelle, qu’ils occupent depuis 1961…

Comment régler ce conflit de propriété entre en possesseur trentenaire et un propriétaire titré ?

La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 4 septembre 2018, estime que l’occupant de la parcelle aurait dû publier son titre, résultant de l’arrêt d’appel de 1980 et que, ne l’ayant pas fait, il ne peut se prévaloir de la possession trentenaire. La cour d’appel accueille ainsi la demande d’expulsion formée par la société Prevalim, second acquéreur.

La cour d’appel a, en effet, considéré que les deux titres étant soumis à la publicité foncière, celui qui avait été effectivement publié devait l’emporter. Et elle juge ainsi que celui qui dispose d’un titre non publié ne peut se « rattraper » en invoquant les règles de la prescription acquisitive trentenaire.

La Cour de cassation ne l’entend cependant pas ainsi, et censure l’arrêt de la cour de Lyon.

Au visa des articles 712 et 2272 du code civil, elle rappelle simplement que « la prescription trentenaire peut être opposée à un titre ». Le premier texte prévoit que « la propriété s’acquiert aussi (…) par prescription », tandis que le second dispose (al. 1er) que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Ainsi et en définitive, l’absence de publication d’un titre de propriété ne prive pas son titulaire du droit d’invoquer la prescription acquisitive, s’il en réunit par ailleurs les conditions (ce que devra déterminer la cour d’appel de renvoi dans cette affaire).

Le 17 déc. 2020