Coup de tonnerre sur AirBnb: restriction drastique des conditions de la location touristique de courte durée

Civ. 3ème, 18 févr. 2021, pourvoi n°17-26.156 ; Civ. 3ème, 18 févr. 2021, pourvoi n°19-13.191 ; Civ. 3ème, 18 févr. 2021, pourvoi n°19-13.462

La solution

Par trois arrêts rendus le même jour, publiés sur son site internet et faisant l’objet, chacun, d’un communiqué de presse, la Cour de cassation vient consacrer le pouvoir des communes d’intervenir pour réguler la location de courte durée. A Paris et dans les communes « sous tension », on ne peut, sans autorisation de la commune, louer plus d’une fois dans la même année un local à usage d’habitation à une clientèle de passage.

Les communes regagnent un avantage substantiel dans le bras de fer qui les oppose aux plateformes de location de courte durée (type AirBnb) et à leurs usagers.

Au sens de l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH), qui est jugé conforme à la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, deux courtes locations d’un même local à usage d’habitation, durant la même année, constituent un changement d’usage, qui n’est possible que sur autorisation de la commune du lieu de l’immeuble.

Cette solution est applicable dès lors qu’un logement meublé est loué à plus d’une reprise au cours d’une même année, pour une durée inférieure à un an (à la nuitée, à la semaine ou au mois), à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale.

Les données du litige

La règle fixée par l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH) est claire : « le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est (…) soumis à autorisation préalable ». Cette autorisation relève du pouvoir de la commune, représentée par son maire.

Et depuis la loi ALUR du 24 mars 2014, le texte dispose en son dernier alinéa que :

« Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article ».

Ce texte, qui s’applique dans les communes de plus de 200.000 habitants et dans les départements limitrophes de Paris, permet au maire d’assurer l’équilibre indispensable entre logement, activités de bureaux ou activités commerciales (lesquelles peuvent s’exercer dans des locaux destinés à l’habitation). Le propriétaire qui loue un local à usage d’habitation doit, s’il veut le louer de manière répétée pour de courtes durées, à une clientèle de passage, obtenir une autorisation de changement d’usage (de la même manière que s’il voulait transformer son local en bureaux…). Il ne s’agit plus d’habitation mais de location touristique.

L’usage (qu’il ne faut pas confondre avec la destination de l’immeuble, qui est une notion de droit de l’urbanisme) distingue ainsi, d’une part l’habitation, d’autre part les autres usages.

La Cour de cassation rappelle à l’occasion que l’usage d’un local est fixé à la date du 1er janvier 1970, et que la preuve d’un usage d’habitation ultérieur est inopérante (solution déjà donnée par Civ. 3ème, 28 mai 2020, pourvoi n°18-26.366).

La question, qui était donc de savoir dans quelle mesure la location répétée de courte durée constituait un usage distinct de l’habitation, imposait une réponse sur plusieurs points : la solution de l’article L.631-7 du CCH était-elle conforme à la directive ? Que fallait-il entendre par « courte durée » et par location « répétée » ?

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation vient de préciser la réponse, en donnant raison par trois fois à la Ville de Paris, du moins sur l’essentiel, contre deux sociétés civiles et un couple de particuliers qui louaient leurs appartements sur des plateformes de type AirBnb.

Le droit français conforme à la directive « services » de l’Union Européenne

Afin de savoir dans quelle mesure le maire disposait du pouvoir de limiter cet usage, la Cour de cassation avait pris soin, par un précédent arrêt du 15 novembre 2018 (pourvoi n°17-26.156), d’interroger la Cour de justice de l’Union Européenne par une série de questions préjudicielles. Il s’agissait de savoir si la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur s’appliquait à la location de courte durée (donc, s’il s’agissait bien d’un service), et si la directive ne s’opposait pas à un régime d’autorisation tel que celui mis en œuvre par l’article L.631-7 du CCH.

En effet, dans un système d’économie libérale, la directive n’admet pas que l’exercice d’une activité de services soit soumise à une autorisation administrative, sauf par exception et à des conditions strictes. Une exception est admise par les 9 et 10 de la directive, qui permet un régime d’autorisation, qui ne doit pas être discriminatoire, qui doit être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et être proportionné à cet objectif, et dont la mise en œuvre doit être encadrée.

Par un arrêt du 22 septembre 2020 (C-724/18 et C-727/18), rendu dans l’une des trois affaires soumises à la Cour de cassation, la CJUE a considéré que la directive était bien applicable à l’activité de location en meublé de courte durée. Elle a également jugé que la directive ne s’opposait pas à un système d’autorisation, tel que celui mis en œuvre par l’article L.631-7 du CCH.

La CJUE a, en effet, considéré que l’objectif de garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables pouvait conduire à soumettre l’activité de location meublée de courte durée à un régime d’autorisation préalable applicable dans certaines communes, où la tension sur les loyers est particulièrement marquée. La CJUE a ainsi admis que cette solution était justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi, et qu’il n’existait pas d’autre solution possible…

Forte de cette décision, la Cour de cassation vient ainsi de juger que l’article L.631-7 du CCH, qui confie au maire le pouvoir d’autorisation, était conforme aux articles 9 et 10 de la directive. C’est la conséquence attendue de l’arrêt de la CJUE.

Précisions sur l’article L.631-7 du CCH

La Cour de cassation a par ailleurs précisé que la « courte durée » devait s’entendre d’une durée inférieure à un an (hormis le cas d’un bail consenti pour 9 mois au moins au profit d’un étudiant, du bail mobilité de un à dix mois, et de la location, pour une durée maximale de quatre mois, du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur).

S’agissant enfin de la répétition de la location, la Cour considère qu’il suffit de deux locations dans une même année : la dualité de locations suffit à constituer une répétition.

Conséquences pratiques

La location d’un local à usage d’habitation, par l’intermédiaire d’une plateforme de type AirBnb, dans les communes pour lesquelles est applicable l’article L.631-7 du CCH, n’est possible qu’après autorisation de changement d’usage, dès lors que cette location intervient plus d’une fois dans la même année.

Sans présumer des décisions des maires des communes concernées, on peut supposer que les autorisations seront particulièrement rares. Les effets néfastes de la location de courte durée, tant sur la location classique au profit d’habitants pérennes, que sur la tranquillité des immeubles en copropriété, sont souvent soulignés.

Sans autorisation de changement d’usage, il ne reste possible de louer pour une seule période de moins d’un an (à un seul locataire ou groupe de locataires donc, car sinon il s’agit de deux ou plusieurs locations). Cette faculté intéressera uniquement les propriétaires d’appartements à usage d’habitation (la sous-location étant interdite) souhaitant, pour une période de vacance, louer celui-ci pour une période unique inférieure à un an (pour une ou plusieurs nuitées ou semaines consécutives).

Les sanctions pour le contrevenant sont lourdes : une amende civile pouvant atteindre 50.000 € (versée à la commune) et l’obligation de restituer aux lieux leur usage d’habitation sous astreinte.

L’agent commercial ne doit pas nécessairement disposer du pouvoir de modifier les prix des biens ou prestations de son mandant

Com., 2 déc. 2020, pourvoi n°18-20.231

Cet arrêt de revirement, dont la solution n’est pourtant pas une surprise, intéressera tous ceux qui exploitent une activité sous le statut d’agent commercial (art. L.134-1 et suivants du code de commerce), dans l’ombre d’un mandant omnipotent ou, du moins, dominant.

Rappelons que l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux.

L’agent commercial bénéficie d’un statut protecteur garanti par les dispositions précitées, qui résultent de la transposition de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.

Encore faut-il, pour bénéficier de cette protection, pouvoir être qualifié d’agent commercial, indépendamment des termes du contrat, qui ne lient pas le juge.

Il s’agissait donc ici de savoir si l’agent commercial devait, pour être qualifié comme tel, disposer d’un pouvoir de négocier, dans le sens de « modifier » le prix des biens ou services proposés par son mandant.

Et la question se pose, comme dans l’arrêt étudié, lorsque l’agent commercial ne dispose d’aucun pouvoir de négocier les prix des biens ou services qu’il doit commercialiser pour son mandant. Tel est le cas lorsque le mandant arrête ses tarifs de manière fixe.

Jusqu’à son arrêt du 2 décembre 2020, la Cour de cassation considérait que l’agent qui ne disposait d’aucune marge de négociation sur les prix des biens ou services de son mandant n’était pas un agent commercial (on citera les deux arrêts rappelés par la Cour : Com., 14 juin 2005, pourvoi n°03-14.401 -pouvoir de négocier ; Com, 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.290 -pas de pouvoir de négociation, ainsi que Com., 19 juin 2019, pourvoi n°18-11.727).

Cependant, par un arrêt du 4 juin 2020 (C-828/18), la Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie d’une question préjudicielle par le tribunal de commerce de Paris, est précisément venue décider que « l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».

C’est donc très logiquement qu’au vu de cet arrêt, qu’elle rappelle, la Cour de cassation a elle-même modifié sa jurisprudence, et complété la définition d’agent commercial prévue par l’article L.134-1 du code de commerce en énonçant que :

« doit désormais être qualifié d’agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux, quoiqu’il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services ».

On notera au passage que la Cour de cassation étend logiquement la solution de la CJUE à l’agent chargé de commercialiser des prestations de services, et non pas seulement de vendre des marchandises.

Le pouvoir de modifier les prix ne participe donc pas de l’essence du contrat d’agent qui doit négocier des contrats, de manière indépendante et permanente.

Cette solution rassurera les membres de nombreux réseaux de distribution ou de commercialisation, sous statut d’agents commerciaux, qui ne disposent pas toujours du pouvoir de modifier le prix de la prestation de leur mandant, et qui bénéficieront désormais du statut d’agent commercial.

Ces réseaux se déploient dans des domaines très divers, et notamment dans celui de la vente immobilière, pour lequel un agent immobilier peut créer un réseau de conseillers, qui sont ses agents commerciaux sans être eux-mêmes agents immobiliers au sens de la loi Hoguet du 2 janvier 1970. Si certains réseaux laissent une grande liberté à leurs agents commerciaux sur la négociation des commissions, d’autres sont plus rigides et le contrat d’agent commercial relève alors parfois du contrat d’adhésion…

22 déc. 2020

L’acquisition d’un immeuble par prescription trentenaire par le titulaire d’un titre de propriété non publié

Civ. 3ème, 17 déc. 2020, pourvoi n°18-24.434

C’est une affaire à rebondissements sur laquelle vient de se prononcer la Cour de cassation. L’enjeu : savoir si le titulaire d’un titre de propriété immobilière non publié peut invoquer sa possession de l’immeuble depuis plus de trente ans contre celui dont la propriété sur le même immeuble est reconnue par un titre régulièrement publié…

L’affaire débute en 1961 : le propriétaire d’une parcelle vend une partie de celle-ci à un propriétaire de parcelles voisines, par acte sous seing privé. L’acquéreur prend possession de la parcelle vendue, qu’il utilise comme parking desservant un restaurant, mais décède avant la régularisation de l’acte authentique. Ses ayants droit obtiennent un jugement valant vente en 1976, confirmé par arrêt d’appel irrévocable en 1980 (rendu sur renvoi de cassation).

Ce jugement valant vente n’est jamais publié, mais la parcelle est occupée par les bénéficiaires du jugement.

Par la suite, les ayants droit du propriétaire initial (qui avait vendu la parcelle litigieuse en 1961), vendent de nouveau ladite parcelle, par acte du 23 août 1995, à une société Prevalim. Cette société publie son titre de propriété.

Ainsi, la parcelle a été vendue deux fois : d’abord à un premier acquéreur qui n’a jamais publié son titre de propriété mais occupe effectivement la parcelle, ensuite à un second acquéreur qui a publié son titre mais qui, par hypothèse, n’occupe pas la parcelle.

Quelques années plus tard, en 2013, la société Prevalim fait assigner les occupants de la parcelle litigieuse pour les faire condamner à libérer les lieux.

Ces derniers, qui n’ont pas publié leur titre de propriété résultant de l’arrêt d’appel de 1980, se prévalent alors de la possession de la parcelle, qu’ils occupent depuis 1961…

Comment régler ce conflit de propriété entre en possesseur trentenaire et un propriétaire titré ?

La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 4 septembre 2018, estime que l’occupant de la parcelle aurait dû publier son titre, résultant de l’arrêt d’appel de 1980 et que, ne l’ayant pas fait, il ne peut se prévaloir de la possession trentenaire. La cour d’appel accueille ainsi la demande d’expulsion formée par la société Prevalim, second acquéreur.

La cour d’appel a, en effet, considéré que les deux titres étant soumis à la publicité foncière, celui qui avait été effectivement publié devait l’emporter. Et elle juge ainsi que celui qui dispose d’un titre non publié ne peut se « rattraper » en invoquant les règles de la prescription acquisitive trentenaire.

La Cour de cassation ne l’entend cependant pas ainsi, et censure l’arrêt de la cour de Lyon.

Au visa des articles 712 et 2272 du code civil, elle rappelle simplement que « la prescription trentenaire peut être opposée à un titre ». Le premier texte prévoit que « la propriété s’acquiert aussi (…) par prescription », tandis que le second dispose (al. 1er) que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Ainsi et en définitive, l’absence de publication d’un titre de propriété ne prive pas son titulaire du droit d’invoquer la prescription acquisitive, s’il en réunit par ailleurs les conditions (ce que devra déterminer la cour d’appel de renvoi dans cette affaire).

Le 17 déc. 2020

L’occupant d’une chambre en EHPAD n’en est pas le locataire

Civ. 3ème, 3 déc. 2020, 2 arrêts (pourvoi n°20-10.122 ; pourvoi n°19-19.670)

A l’occasion de deux dossiers présentant des faits voisins (et dramatiques), la Cour de cassation énonce, par deux arrêts du même jour, que le régime du contrat de bail, résultant des articles 1713 et suivants du code civil (à défaut de statut spécial), est inapplicable au contrat de séjour dans un établissement accueillant des personnes âgées.

Dans le premier arrêt (pourvoi 20-10.122), un incendie s’était déclaré dans la chambre de l’occupant d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Dans le second arrêt (pourvoi n°19-19.670), l’incendie était survenu dans un appartement dépendant d’une résidence pour personnes retraitées, dont l’occupant avait péri.

Dans les deux cas, l’occupant avait conclu un contrat de séjour, au sens de l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles, pour l’un avec l’Ephad, pour l’autre avec la résidence de services.

La question soumise à la Cour de cassation était très claire : un tel contrat, qui porte à la fois sur la jouissance d’un logement et sur des services à la personne, plus ou moins nombreux, peut-il s’analyser, au moins pour partie, en un bail ?

L’enjeu était ici de savoir si l’occupant pouvait être considéré comme un locataire et, comme tel, présumé responsable de l’incendie survenu dans les lieux « loués », sauf preuve contraire (comme le prévoit l’article 1733 du code civil).

La Cour de cassation tranche par la négative : le contrat de séjour exclut le statut du bail. La Cour régulatrice écarte ainsi la position des deux cours d’appel (Caen et Reims), qui avaient considéré qu’une application distributive du contrat (bail et prestation de services) pouvait être opérée.

Dans l’affaire ayant donné lieu au second arrêt, les prestations complémentaires (à la mise à disposition des lieux), qui consistaient en un service de repas, un dispositif d’alarme et des animations, étaient pourtant facultatives…

La Cour de cassation affirme ainsi un régime unitaire, dès lors que la convention, quelles qu’en soient les modalités, est un contrat de séjour.

Les retraités peuvent ainsi continuer de fumer au lit sans inquiétude.

11 déc. 2020

Promesse synallagmatique de vente non régularisée par acte authentique : point de départ du délai de l’action en résolution de la vente

Civ. 3ème, 1er oct. 2020, pourvoi n°19-16.561, (P+B+I)

En 2010, une SCI vend un terrain sous conditions suspensives à une société immobilière du Département de la Réunion. La promesse synallagmatique prévoit une date de régularisation par acte authentique, après levée des conditions, au plus tard le 30 avril 2010. La vente ne sera jamais régularisée.

Un peu plus de 5 ans après la date prévue pour la signature de l’acte authentique, en mai 2015, la SCI assigne l’acquéreur en résolution de la vente et paiement de dommages et intérêts. La prescription de son action est soulevée en défense.

Si le délai de l’action, 5 ans, n’est pas discuté (art. 2224 du code civil), le point de départ de ce délai, comme souvent, est litigieux. Le texte précité prévoit en effet que le délai court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant » d’exercer l’action.

L’acquéreur soutenait ainsi, avec succès devant la cour d’appel, que le délai avait commencé à courir dès le lendemain de la date limite fixée pour la signature, soit le 1er mai 2010. A cette date, en effet, le vendeur devait savoir que la vente ne serait pas régularisée, et en tirer les conséquences pour en demander la résolution avec dommages et intérêts. En suivant cette analyse, l’action engagée fin mai 2015 est donc prescrite.

La Cour de cassation a néanmoins censuré l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis, en considérant que la connaissance que pouvait avoir le vendeur du refus de l’acquéreur de réaliser la vente n’était pas caractérisée. Il appartiendra ainsi à la cour d’appel de renvoi de vérifier, concrètement, à quel moment le vendeur avait été informé du refus de l’acquéreur de régulariser la vente.

Cet arrêt privilégie ainsi une recherche in concreto de la connaissance effective, par le vendeur, du refus de l’acquéreur de régulariser la vente, plutôt qu’une appréciation in abstracto de cette connaissance, qui résulterait du seul dépassement de la date contractuellement fixée.

La solution est de bon sens, puisque le simple dépassement de la date fixée initialement pour la signature de l’acte authentique ne correspond pas toujours à un refus de l’acquéreur de régulariser la vente. Ce dépassement résulte souvent de contingences matérielles conduisant à un report de quelques jours ou semaines.

Sur un plan pratique, la solution doit engager les parties, et particulièrement le bénéficiaire de la promesse qui ne souhaite plus acquérir, à manifester leurs intentions de manière claire, pour faire courir le délai de prescription. Or, trop souvent, vendeur comme acquéreur préfèrent rester dans une ambiguïté qu’ils estiment prudente sur leurs intentions quant au contrat.

6 oct. 2020

Responsabilité des constructeurs: l’étendue du préjudice réparable

Civ. 3ème, 14 mai 2020, pourvoi n°19-16.278 (P+B+I)

Que demander au constructeur responsable de malfaçons ? Refuser de régler le prix du marché ? Demander des dommages et intérêts ? L’un ou l’autre, mais pas les deux nous rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt.

A la suite de malfaçons affectant la construction d’un escalier extérieur, le maître d’ouvrage avait obtenu la condamnation de l’entreprise au paiement de dommages et intérêts réparant l’ensemble des conséquences dommageables. Mais le jugement avait par ailleurs rejeté la demande de l’entreprise en paiement du solde des travaux.

Ainsi, le maître d’ouvrage avait obtenu deux fois la réparation du même préjudice : d’abord en étant dispensé du paiement de la totalité du prix, ensuite par l’allocation de dommages et intérêts lui permettant de faire exécuter les travaux par une autre entreprise…

Le jugement est logiquement censuré, pour avoir méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice, qui est un fondement du droit français de la responsabilité civile. Il s’agit de réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

Au passage, la Cour de cassation rappelle également que le juge ne peut, comme il l’avait fait en l’espèce, se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important que l’expertise ait été réalisée en présence de l’autre partie. Il faut donc une expertise judiciaire ou, à défaut, un

En pratique, il importe de délimiter clairement le préjudice réparable du fait de la responsabilité du constructeur pour engager l’action à l’encontre de ce dernier.

Prescription décennale et expertise judiciaire

Civ. 3ème, 19 mars 2020, pourvoi n°19-13.459 (P+B+R+I)

Par un important arrêt rendu le 19 mars 2020, la Cour de cassation rappelle plusieurs règles cruciales relatives au droit de la responsabilité des constructeurs, et à la prescription de l’action en la matière.

En l’espèce, la société Bouygues Immobilier, chargée de travaux de construction sur un terrain appartenant à un couple de particuliers, avait confié la réalisation de travaux de VRD (voies et réseaux divers) à une société tierce, la société STPCL. La société Bouygues avait agi elle-même comme maître d’ouvrage.

A la suite de retards et désordres, les propriétaires du terrain avaient demandé une expertise judiciaire à la fois contre Bouygues et contre STPCL, par assignation du 25 mars 2010. L’expert avait déposé son rapport le 25 octobre 2011.

La Cour régulatrice rappelle tout d’abord que la responsabilité ou « garantie » décennale n’est applicable qu’à compter de la réception de l’ouvrage. En l’absence de réception, cette garantie ne s’applique pas et c’est donc la responsabilité contractuelle de droit commun (qui suppose la démonstration d’une faute du constructeur, d’un préjudice du maître d’ouvrage et d’un lien de causalité) qui s’applique.

En l’espèce, Bouygues Immobilier n’avait pas réceptionné les travaux de la société SPTCL et ne disposait donc que d’un délai de 5 ans, et non pas 10 ans, pour agir contre ce constructeur (que ce soit en application de l’article 2224 du code civil ou L.110-4 du code de commerce).

Ensuite et surtout, la Cour de cassation souligne les conséquences d’une demande d’expertise in futurum, avant tout procès, sur l’interruption ou la suspension du délai de prescription.

En l’espèce, les propriétaires du terrain avaient demandé une expertise judiciaire tant à l’encontre de la société Bouygues Immobilier que contre la société STPCL, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Or, Bouygues Immobilier n’avait elle-même formé aucune demande d’expertise contre STPCL, puisque l’expert avait été désigné à l’égard de toutes les parties (les propriétaires, Bouygues Immobilier et STPCL).

Or, rappelle la Cour de cassation, le caractère interruptif de prescription de la demande d’expertise, puis la suspension de la prescription pendant les opérations d’expertise, ne profitent qu’au créancier (de l’obligation de réparation) qui a pris l’initiative de la mesure d’instruction.

En effet, la demande d’expertise, à condition qu’elle soit accueillie, fait repartir à zéro le délai d’action en responsabilité (interruption), et ce délai est gelé (suspension) pendant toute la durée des opérations d’expertise.

Mais la règle ne profite qu’à la partie qui a demandé la mesure d’instruction, et pas à toutes celles qui ont participé à l’expertise si elles n’ont rien demandé elles-mêmes.

Ainsi, quand bien même l’expertise mettait en présence l’ensemble des parties concernées, il appartenait à Bouygues Immobilier d’assigner elle-même STPCL en extension à son égard de la mesure d’instruction, pour interrompre puis suspendre le délai de prescription.

En l’absence d’une telle assignation, l’action en responsabilité formée par Bouygues, le 14 décembre 2015, soit plus de 5 ans après qu’elle a connu les désordres, a été déclarée irrecevable par la Cour de cassation. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait jugé le contraire, est ainsi censuré.

La solution n’est pas nouvelle et résultait d’un arrêt du 31 janvier 2019 (Civ. 3ème, 3 janv. 2019, pourvoi n°18-10.011, publié au Bulletin), que Bouygues Immobilier et son conseil ne pouvaient évidemment pas connaître lors de l’expertise menée en 2010…

En pratique, chaque constructeur ou intervenant à une opération de construction doit donc être vigilant. Lorsqu’une expertise judiciaire est sollicitée, il devra s’assurer d’appeler lui-même aux opérations d’expertise l’intervenant (constructeur sous-traitant, assureur…) contre lequel il pourrait vouloir ensuite agir au fond. Et ce, quand bien même cet intervenant serait déjà partie à l’expertise, en y ayant été attrait par une autre partie.

Loi Carrez et preuve judiciaire de la superficie du bien vendu

Civ. 3ème, 5 mars 2020, pourvoi n°19-13.509 (P+B+I)

L’action en réduction du prix de vente sur le fondement de la loi Carrez (article 46 de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la loi du 18 décembre 1996) impose à l’acquéreur de prouver que la superficie du bien qu’il a acheté (un lot de copropriété) est inférieure de plus d’un vingtième (5%) à celle qui lui a été garantie par le vendeur.

Habituellement, l’acquéreur qui veut aménager les lieux s’aperçoit que la superficie réelle semble inférieure à celle qui lui a été vendue, et fait réaliser un nouveau métrage par un diagnostiqueur ou un géomètre-expert. Si ce métrage confirme ses soupçons, il demande amiablement une réduction du prix au vendeur (s’il en a encore le temps). En cas d’échec de cette tentative amiable, l’acquéreur dispose théoriquement d’une option : soit il demande une expertise judiciaire (tout en agissant au fond pour demander la réduction du prix), soit il agit directement en réduction du prix, sans passer par l’étape d’une expertise judiciaire, s’il estime disposer de preuves suffisantes de l’insuffisance de superficie.

On ne saurait que trop recommander de solliciter une expertise judiciaire, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (mais en agissant immédiatement après en réduction du prix, quitte à demander un sursis à statuer au juge du fond, car la demande d’expertise n’interrompt ni ne suspend le délai de forclusion de l’action, qui est d’une année à compter de la vente).

Ce n’est pas l’option qu’a choisie l’acquéreur dans les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 5 mars 2020. Fort de deux métrages amiables réalisés à sa demande, établissant que la superficie réelle était inférieure de plus de 5% à la superficie vendue, le vendeur avait directement agi en réduction du prix de vente.

Son action avait été rejetée par la cour d’appel de Toulouse au motif que les éléments de preuve produits aux débats (les deux métrages amiables) n’avaient pas été établis contradictoirement (en présence de toutes les parties et signé par elles).

En effet, le juge ne peut fonder sa décision sur un rapport d’expertise amiable qui n’a pas été établi de manière contradictoire. Cependant, comme le rappelle la Cour de cassation, la règle ne vaut qu’en présence d’un élément de preuve unique. Dès lors que plusieurs éléments de preuve, même non contradictoires, sont produits par une partie, et peuvent être discutés contradictoirement dans le cadre du débat judiciaire, le juge ne peut les écarter et peut fonder valablement sa décision sur ces pièces.

En l’espèce, la cour d’appel était bien saisie de deux métrages amiables réalisés à la demande de l’acquéreur, ce qu’elle avait constaté. Elle ne pouvait donc écarter ces pièces et devait statuer sur la demande de réduction du prix. La solution aurait été différente s’il n’y avait eu qu’un seul métrage amiable effectué à la demande de l’acquéreur.

Dispense d’autorisation du syndic pour agir en défense

Civ. 3ème, 27 févr. 2020, pourvoi n°19-10.887, P+B+I

Pour agir en justice, le syndicat des copropriétaires (la copropriété) doit être représenté par son syndic. Le syndic doit lui-même, sauf exceptions, avoir été habilité par l’assemblée générale des copropriétaires pour agir au nom du syndicat. Cette règle est posée par l’article 55 du décret du 17 mars 1967, modifié en dernier lieu par le décret du 18 septembre 2019.

Rappelons que le syndic peut être dispensé d’autorisation dans certains cas et notamment :

  • Pour une action en recouvrement de créance ou la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée (mais il devra être habilité s’il s’agit d’une saisie de lot de copropriété) ;
  • Pour obtenir une mesure conservatoire ou agir en référé ;
  • Pour défendre à une action en justice intentée contre le syndicat.

Par son arrêt du 27 février 2020, la Cour de cassation vient confirmer l’extension du champ de l’exception portant sur ce dernier cas, à savoir la défense à une action dirigée contre le syndicat.

Dans cet arrêt, en effet, le syndic ne s’était pas contenté de défendre à l’action dirigée contre le syndicat par un copropriétaire se plaignant d’infiltrations depuis la toiture-terrasse, mais avait également appelé en garantie l’assureur de la copropriété. Or, pour cet appel en garantie, le syndic avait nécessairement introduit une action, au fond, et l’avait fait sans habilitation de l’assemblée générale.

Par l’arrêt évoqué, la Cour de cassation énonce que « le syndic n’a pas à être autorisé par l’assemblée générale des copropriétaires pour défendre à l’action introduite à l’encontre du syndicat et former une demande en garantie contre l’assureur de la copropriété ».

La nouveauté porte sur le membre de phrase souligné, qui n’est pas visé par l’article 55 du décret au titre des exceptions admises pour la dispense d’habilitation.

La Cour de cassation permet ainsi au syndic d’attraire l’assureur de la copropriété à l’instance, sans perdre le temps d’une demande d’habilitation (qui peut être régularisée en cours d’instance). La solution n’est pas totalement nouvelle. Comme le souligne la Cour de cassation elle-même dans son arrêt, elle avait été admise auparavant, par un arrêt non publié rendu en 2004 et par un arrêt publié plus ancien, rendu le 7 janvier 1981, à l’égard de l’appel en garantie à l’encontre d’un copropriétaire ou d’un architecte.