Cession de fonds de commerce sur le domaine public municipal : que prévoit le code général des collectivités territoriales ?

Article L2224-18 du CGCT

Les articles 71 et 72 de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite Loi PINEL, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, concernent « l’utilisation du domaine public dans le cadre de l’exploitation de certaines activités commerciales ».

L’article 71 codifié à l’article L2224-18-1 du CGCT qui fixe le régime juridique des transmissions d’emplacements situés sur les halles et marchés, dispose  :

« Sous réserve d’exercer son activité dans une halle ou un marché depuis une durée fixée par délibération du conseil municipal dans la limite de trois ans, le titulaire d’une autorisation d’occupation peut présenter au maire une personne comme successeur, en cas de cession de son fonds. Cette personne, qui doit être immatriculée au registre du commerce et des sociétés, est, en cas d’acceptation par le maire, subrogée dans ses droits et ses obligations.

En cas de décès, d’incapacité ou de retraite du titulaire, le droit de présentation est transmis à ses ayants droit qui peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’eux. A défaut d’exercice dans un délai de six mois à compter du fait générateur, le droit de présentation est caduc. En cas de reprise de l’activité par le conjoint du titulaire initial, celui-ci en conserve l’ancienneté pour faire valoir son droit de présentation.

La décision du maire est notifiée au titulaire du droit de présentation et au successeur présenté dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande. Toute décision de refus doit être motivée ».

Cet article reconnait au titulaire d’une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) délivrée pour un emplacement situé dans une halle ou un marché, un droit de présentation au Maire, d’un successeur, « en cas de cession de son fonds de commerce ».

L’article L2224-18-1 ne pose qu’une seule condition à l’exercice du droit de présentation : le successeur doit être immatriculé au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS).

Le second alinéa du même article définit les modalités de transmission du droit de présentation aux ayants droit en cas d’incapacité, de retraite ou de décès, lesquels peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’entre eux.

2. Date d’entrée en vigueur du dispositif

Le conseil d’Etat et la Cour de cassation divergent sur la date d’entrée en vigueur du dispositif.

Selon le conseil d’Etat, « ces dispositions [articles 71 et 72 de la loi Pinel] ne sont, dès lors que la loi n’en a pas disposé autrement, applicables qu’aux fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de son entrée en vigueur » (CE, 24 novembre 2014, société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, 352402).

Cependant, la Cour de cassation, qui juge depuis longtemps que les commerçants ambulants titulaires d’un emplacement sur un marché municipal peuvent détenir un fonds de commerce auquel est attachée une clientèle susceptible de faire l’objet d’une cession (Ch. Commerciale, 7 mars 1978, n° 76-13.388), a considéré que ces dispositions étaient applicables aux fonds de commerce constitués avant leur entrée en vigueur (Ch. civ. 3, 4 avril 2018, n°17-10.466, à propos des voiliers du bassin du Jardin du Luxembourg).

Selon la Chambre commerciale (4 février 2014, 12-25528), il est possible d’être « détenteur d’un fonds de commerce auquel est attachée une clientèle bien que la concession d’un emplacement sur un marché municipal dont le commerçant était bénéficiaire fût un bien hors commerce, ni cessible, ni saisissable »).

Les collectivités locales ont donc la faculté d’admettre la présentation d’un successeur formée par un commerçant bénéficiaire d’un titre d’occupation du domaine public délivré antérieurement au 18 juin 2014, étant observé que le transfert d’une autorisation ou d’une convention d’occupation du domaine public à un nouveau bénéficiaire est possible dès lors que le gestionnaire de ce domaine a donné son accord écrit (CE, 18 septembre 2015, Sté PREST’AIR n°387315) et ce nonobstant le caractère personnel des autorisations unilatérales (CE 10 mai 1989, n° 73146, Munoz) ou contractuels (CE 19 janv. 2011, n°323924, Commune de Limoges, Lebon T. 923).

3. Conditions d’application

Le commerçant doit présenter un titre écrit, en application de l’article R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques suivant lequel « L’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire, et révocable, par la voie d’une décision unilatérale ou convention » et de la jurisprudence du conseil d’Etat suivant laquelle « une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit »  (CE, 19 juin 2015, société immobilière du port de Boulogne, 369558).

Il appartient donc à la collectivité publique de délivrer un titre écrit préalablement à toute occupation du domaine public.

Le cédant doit bénéficier d’une AOT d’une ancienneté minimale dont la durée est fixée par la délibération municipale mentionnée à l’article L2224-18-1 du CGCT. La quasi-totalité des communes dont nous avons connaissance, ont fixé ce délai minimal à trois ans.

Le calcul de l’ancienneté risque de poser problème lorsque le cédant se prévaudra d’un titre dont il ne sera pas personnellement le titulaire (mais le fils, le frère, le neveu, le cousin, le mari, …)

Le commerçant doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés.

Lorsqu’une personne morale (SARL, SAS, …) exploite l’activité commerciale, il est loisible à l’autorité municipale gestionnaire du marché de transférer l’AOT à la structure sous réserve de s’assurer que son représentant légal, est immatriculé au RCS.

Délivrer l’AOT à la personne morale permet d’assurer la continuité de l’activité commerciale en cas de changement de dirigeant.

Le commerçant doit céder son fonds de commerce : c’est une condition sine qua non de l’exercice du droit de présentation.

Le repreneur doit donc exploiter le même type de commerce et commercialiser le même produit.

Il n’appartient pas à la Commune de contrôler l’existence du fonds de commerce ; en revanche, le repreneur peut contester la valeur du prix de cession, à l’appui d’une action dirigée contre le cédant, la Commune ne pouvant s’immiscer dans des relations commerciales de droit privé.

En effet, au cours des débats parlementaires, les députés ont considéré :

« Afin de garantir l’effectivité de ce droit, il est prévu que le gestionnaire ne peut refuser à la personne présentée comme successeur l’autorisation de s’établir à titre exclusif dans un emplacement du marché si elle est inscrite au registre du commerce et des sociétés et si elle exerce les mêmes activités que son prédécesseur » (Rapport AN, n°1739, 29.01.2014, p. 197)

Avant même l’entrée en vigueur des articles 71 et 72 de la loi Pinel, le juge judiciaire ne voyait aucune antinomie entre la notion de fonds de commerce et celle de domaine public (Com. 14 oct. 1965, Bull. civ. IV, n° 499 ; Civ. 3e, 19 mars 2003, n° 01-17.679, Bull. civ. III, n° 66 ; Civ. 3e, 18 déc. 2012, n° 11-28.251).

La Cour de cassation dissocie clairement droit au bail et fonds de commerce en jugeant que, « quelle que soit son importance, le droit au bail ne constitue pas, de plein droit, un élément nécessaire du fonds qui peut exister en dehors de lui » (Com. 27 avr. 1993, n° 91-10.819, Consorts Schertzer c/ Mme Walter, D. 1993. 129; RTD com. 1993. 488, obs. J. Derruppé). Si la précarité de l’occupation domaniale exclut, en l’état du droit, qu’un bail commercial puisse être conclu sur le domaine public, elle n’exclut pas l’existence d’un fonds de commerce. L’absence de droit au bail ne suffit par conséquent pas à écarter un tel fonds (Com. 17 sept. 2013, n° 12-16.209 ; Com. 28 mai 2013, n° 12-14.049, LPA 6 nov. 2013, note C. Humann ; Com. 4 févr. 2014, n° 12-25.528).

Le conseil d’Etat, en revanche, excluait la possibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public, eu égard au caractère révocable et personnel, d’une autorisation d’occupation du domaine public, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire » (CE, 24 novembre 2014, société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, 352402 ; CE, 31 juillet 2009, Sté Jonathan Loisirs, n°316534).

Un commerçant non sédentaire exerçant sur le domaine public doit être présumé titulaire d’un fonds de commerce, puisqu’il justifie d’une clientèle propre, compte tenu de la nature et de la qualité de ses produits, de son savoir-faire, de son ancienneté, de son assiduité et aussi de son emplacement.

Sans l’envisager ni l’interdire, la loi PINEL laisse entière la question de savoir si un commerçant non sédentaire peut céder partiellement son fonds de commerce, en fonction notamment du lieu et/ou du jour du marché.

Plusieurs hypothèses doivent être distinguées à partir des exemples suivants.

  • un commerçant déballe les mardis, vendredis et dimanches sur un marché M1 de la Ville V.

Désireux de réduire son activité pour tout motif personnel (ou médical), ce commerçant décide de ne travailler que le dimanche. Il choisit alors de présenter au Maire un successeur X sur le marché du mardi et du vendredi, et le cas échéant, un successeur X pour le mardi, un successeur Y pour le vendredi.

Dans cette hypothèse, il y a lieu de considérer que le droit de présentation n’est recevable que si l’AOT est divisible, sachant que la question de la divisibilité du fonds de commerce ne relève pas de l’appréciation de la commune mais des deux commerçants, cédant et cessionnaires qui sont libre de s’accorder sur la conclusion d’un acte de cession partielle du fonds de commerce.

  • un commerçant déballe les mardis et vendredis sur un marché M1 et le dimanche sur un marché M2 de la Ville V.

Ce commerçant souhaite cesser son activité sur le marché M1 mais la poursuivre sur le marché M2.

Il semble que la situation soit plus simple que dans l’hypothèse ci-dessus car dans ce cas, il est probable que le commerçant bénéficie d’une AOT pou le marché M1 et une AOT pour le marché M2. Par hypothèse, les deux AOT étant distinctes, rien ne fait obstacle à ce qu’un commerçant puisse céder partiellement son fonds de commerce en vue de son exploitation sur un seul emplacement. Dans ce cas, le commerçant exercera son droit de présentation d’un repreneur d’une partie de son fonds de commerce.

  • un commerçant déballe le mardi sur un marché M1 de la ville V1 et le mercredi sur un marché M2 de la Ville V2

Dans ce cas, le commerçant peut exercer son droit de présentation devant le maire de chacune des communes V1 et V2.

4. Exercice du droit de présentation

4.1 A l’initiative du commerçant

En cas d’acceptation par le maire, le successeur est subrogé dans les droits et les obligations du cédant. Le titre initial est donc transféré au repreneur, avec les mêmes charges et conditions d’utilisation de l’emplacement : nature du produit vendu, localisation de l’étal, dimensions, durée de l’autorisation.

4.2 En cas de décès, d’incapacité ou de retraite du titulaire.

Ces hypothèses sont expressément prévues par l’article L2224-18-1 du CGCT.

Elle soulève plusieurs difficultés que seule la jurisprudence ultérieure permettra de résoudre.

1°) En cas de cession motivée par un départ à la retraite du titulaire de l’AOT, ce dernier peut parfaitement exercer son droit de présentation directement, sans qu’il soit transmis à ses ayants-droit. Dans ce cas, tout se passe comme si le commerçant faisait usage de son droit de présentation propre, tel que prévu au premier alinéa de l’article L2224-18-1 du CGCT.

2°) En cas d’incapacité ? La loi est muette sur le degré d’invalidité du commerçant. En revanche, on ne voit pas que la Commune puisse apprécier l’état d’invalidité du commerçant.

Il appartiendra donc au Maire de tenir pour acquis la reconnaissance du statut d’invalide constaté dans les formes prescrites par la législation en vigueur.

3°) Le droit de présentation est transmis à ses ayants droit qui peuvent en faire usage au bénéfice de l’un d’eux ?

La loi ne règle pas le problème de plusieurs ayants-droit qui se disputeraient le droit d’exercer le droit de présentation. Dans cette hypothèse, la Commune devra statuer sur le repreneur présenté par l’ayant-droit qui s’adressera à elle en premier, ou sur ce dernier qui peut décider de reprendre le fonds commerce, sauf aux autres ayants-droit de leur faculté de contester ce droit en justice pour faire valoir leur droit à exercer leur droit de présentation.

4°) Le droit de présentation doit être exercé dans un délai de six mois à compter du fait générateur.

Il conviendra de considérer comme fait générateur, la date du décès, la date à laquelle le commerçant aura fait valoir ses droits à la retraite (document de la caisse de retraite) et la date de notification du taux d’invalidité par l’organisme compétent.

A l’issue du délai de six mois, le maire a le droit d’attribuer l’emplacement dans les conditions prévues par le règlement de marché.

5°) En cas de reprise de l’activité par le conjoint du titulaire initial, celui-ci en conserve l’ancienneté pour faire valoir son droit de présentation.

La loi ne précise pas la nature du lien entre le commerçant et son conjoint.

S’agit-il du conjoint marié ? pacsé ? concubin notoire ? Là aussi, la Commune ne pourra s’immiscer dans des considérations d’ordre privé et devra s’en tenir, en l’absence de mariage ou de pacs, à une déclaration sur l’honneur. Cependant, en cas de décès, il sera malaisé pour le « conjoint » survivant d’établir sa qualité de concubin.

5. Conciliation de l’article L2224-18-1 du CGCT avec les règles de publicité et de mise en concurrence par l’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017

Aux termes de l’article L2122-1-1 du CG3P issu de cette ordonnance, « Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».

Le Député Patrick VIGNAL a interpellé le ministre de l’économie et des finances pour obtenir des précisions sur le combinaison du droit de présentation (L2224-18-1 du CGCT,) qui suppose un accord entre deux commerçants sur les conditions de cession d’un fonds de commerce et l’obligation qui pèserait sur les maires de publier la vacance de l’emplacement en cas de cession.

La position ministérielle est claire : « les nouvelles obligations de publicité et de sélection préalables prévues par l’article L. 2122-1-1 du CG3P ne s’appliquent pas aux hypothèses prévues par les articles L. 2124-34 du même code et L. 2224-18-1 du CGCT. En effet, la présentation d’un successeur intervenant dans le cadre de la cession du fonds de commerce, lorsqu’elle est acceptée par l’autorité gestionnaire du domaine public, ne donne pas lieu à délivrance d’un nouveau titre d’occupation du domaine public, le successeur étant subrogé dans les droits et obligations du cédant » (Question AN, n°6260, réponse publiée au JO du 4/12/2018 p. 11021)

Halles et marchés à l’épreuve du Covid19: Guide à l’usage des Maires depuis le déconfinement

Décret n°2020-548 du 11 mai 2020

Le décret n°2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (ci-après le Décret) a été publié au JO du 12 mai. Il abroge les décrets n°2020-545 du 11 mai et n°2020-293 du 23 mars 2020.

D’emblée, il convient de préciser que le Guide méthodologique à l’usage des préfets et des maires pour prendre un arrêté dérogatoire d’ouverture des marchés couverts ou non, qui n’avait d’ailleurs aucune valeur réglementaire, n’est plus applicable, puisqu’il a été rédigé pour accompagner la mise en œuvre de l’article 8-III du décret du 23 mars 2020 abrogé depuis le 11 mai dernier.

Voici les dispositions du Décret applicables aux halles et marchés, alimentaires et manufacturés, suivies d’un commentaire pratique.

Article 1er du Décret

« Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d’hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance.

Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l’usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures ».

Annexe1 à laquelle renvoie l’article 1er du Décret :

« Les masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties ».

Conséquences :

1°) La distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes doit être respectée en tout lieu et donc, y compris sur les marchés couverts ou non.

2°) Si cette règle de distanciation physique ne peut être garantie, alors le port du masque est obligatoire.

Tel est le cas sur un marché.

Sur ce fondement, les maires sont fondés à rendre le port du masque obligatoire sur TOUS les marchés.

Article 7 du Décret

« Tout rassemblement, réunion ou activité à un titre autre que professionnel sur la voie publique ou dans un lieu public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République ».

Conséquences :

Cette disposition ne s’applique pas aux activités professionnelles (sauf si le préfet le décide expressément et en raison de circonstances locales particulières : article 6 dernier alinéa).

Le seuil des 100 personnes posée par le décret du 23 mars 2020 est abrogé.

Le seuil des 10 personnes ne concerne pas les activités professionnelles.

Article 9-III du Décret :

Alinéa 1er : « Les dispositions du premier alinéa de l’article 7 ne font pas obstacle à ce que les marchés, couverts ou non, reçoivent un nombre de personnes supérieur à celui qui y est fixé, dans le respect des dispositions qui leur sont applicables et dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er et à prévenir, en leur sein, la constitution de regroupements de plus de dix personnes ».

Ce premier alinéa est venu confirmer expressément que le seuil des 10 personnes ne concernait pas les marchés.

L’accès aux marchés ne peut donc être limité en fonction du nombre de personnes (commerçants et clientèle) présentes simultanément.

Alinéa 2 : « Le préfet de département peut, après avis du maire, interdire l’ouverture de ces marchés si les conditions de leur organisation ainsi que les contrôles mis en place ne sont pas de nature à garantir le respect des dispositions de l’alinéa précédent ».

Cet alinéa 2 inverse le principe en vigueur entre le 24 mars et le 10 mai 2020 : désormais, la règle est l’ouverture des marchés.

Tous les marchés, alimentaires et manufacturés, sont donc par principe autorisés à ouvrir dans le respect des règles énoncés à l’article 1er et à l’annexe 1, à savoir :

« – se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon (dont l’accès doit être facilité avec mise à disposition de serviettes à usage unique) ou par une friction hydro-alcoolique ;

– se couvrir systématiquement le nez et la bouche en toussant ou éternuant dans son coude ;

– se moucher dans un mouchoir à usage unique à éliminer immédiatement dans une poubelle ;

– éviter de se toucher le visage, en particulier le nez, la bouche et les yeux.

Les masques doivent être portés systématiquement par tous dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties ».

Toutefois, le préfet est seul compétent, après avoir recueilli l’avis du maire, pour interdire la tenue d’un marché s’il est en mesure d’établir que les conditions d’organisation et les contrôles mis en place, sont insuffisants pour garantir les mesures d’hygiène de l’annexe 1 et les règles de distanciation physique.

Il en résulte :

  • d’une part, que le Maire n’est pas compétent pour interdire la tenue d’un marché. Il ne peut que transmettre un avis au préfet lequel est seul habilité pour le cas échéant, par voie de dérogation au principe d’autorisation en vigueur, interdire la tenue d’un marché.
  • d’autre part, seul le préfet peut interdire un marché, sur avis (ou proposition du maire) et seulement dans la mesure où il est à même d’établir que les conditions d’organisation et les contrôles mis en place sont insuffisants pour garantir le respect des règles sanitaires de l’article 1er et de l’annexe 1.
  • de troisième part, ni le Maire, ni le préfet ne peuvent décider de réserver l’accès des marchés aux seuls commerçants alimentaires. En effet, l’article 8-III du décret du 23 mars 2020 qui visait les seuls marchés alimentaires, est abrogé. L’article 7 du Décret mentionne les marchés sans exclure les produits manufacturés.

Par suite, les commerçants non-sédentaires commercialisant des produits manufacturés doivent donc être admis sur les marchés, couverts ou non.

Article 9-IV du Décret:

« IV. – Pour les activités qui ne sont pas interdites en application du présent article, l’autorité compétente, respectivement pour les parcs, les jardins, les espaces verts aménagés dans les zones urbaines, les plages, les plans d’eau, les lacs, les centres d’activités nautiques, les ports de plaisance et les marchés informe les utilisateurs de ces lieux par affichage des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières ».

Conséquences :

Il appartient au Maire d’assurer, par tout moyen, l’information de la clientèle des marchés :

  • d’une part, du nécessaire respect des mesures d’hygiène (annexe 1 du Décret) et de distanciation physique (article 1er du Décret).
  • d’autre part, du port obligatoire du masque sur l’ensemble du marché dans la mesure où la règle de distanciation physique ne peut être garantie à tout moment.

Responsabilité des constructeurs: l’étendue du préjudice réparable

Civ. 3ème, 14 mai 2020, pourvoi n°19-16.278 (P+B+I)

Que demander au constructeur responsable de malfaçons ? Refuser de régler le prix du marché ? Demander des dommages et intérêts ? L’un ou l’autre, mais pas les deux nous rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt.

A la suite de malfaçons affectant la construction d’un escalier extérieur, le maître d’ouvrage avait obtenu la condamnation de l’entreprise au paiement de dommages et intérêts réparant l’ensemble des conséquences dommageables. Mais le jugement avait par ailleurs rejeté la demande de l’entreprise en paiement du solde des travaux.

Ainsi, le maître d’ouvrage avait obtenu deux fois la réparation du même préjudice : d’abord en étant dispensé du paiement de la totalité du prix, ensuite par l’allocation de dommages et intérêts lui permettant de faire exécuter les travaux par une autre entreprise…

Le jugement est logiquement censuré, pour avoir méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice, qui est un fondement du droit français de la responsabilité civile. Il s’agit de réparer tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

Au passage, la Cour de cassation rappelle également que le juge ne peut, comme il l’avait fait en l’espèce, se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, peu important que l’expertise ait été réalisée en présence de l’autre partie. Il faut donc une expertise judiciaire ou, à défaut, un

En pratique, il importe de délimiter clairement le préjudice réparable du fait de la responsabilité du constructeur pour engager l’action à l’encontre de ce dernier.

Prescription décennale et expertise judiciaire

Civ. 3ème, 19 mars 2020, pourvoi n°19-13.459 (P+B+R+I)

Par un important arrêt rendu le 19 mars 2020, la Cour de cassation rappelle plusieurs règles cruciales relatives au droit de la responsabilité des constructeurs, et à la prescription de l’action en la matière.

En l’espèce, la société Bouygues Immobilier, chargée de travaux de construction sur un terrain appartenant à un couple de particuliers, avait confié la réalisation de travaux de VRD (voies et réseaux divers) à une société tierce, la société STPCL. La société Bouygues avait agi elle-même comme maître d’ouvrage.

A la suite de retards et désordres, les propriétaires du terrain avaient demandé une expertise judiciaire à la fois contre Bouygues et contre STPCL, par assignation du 25 mars 2010. L’expert avait déposé son rapport le 25 octobre 2011.

La Cour régulatrice rappelle tout d’abord que la responsabilité ou « garantie » décennale n’est applicable qu’à compter de la réception de l’ouvrage. En l’absence de réception, cette garantie ne s’applique pas et c’est donc la responsabilité contractuelle de droit commun (qui suppose la démonstration d’une faute du constructeur, d’un préjudice du maître d’ouvrage et d’un lien de causalité) qui s’applique.

En l’espèce, Bouygues Immobilier n’avait pas réceptionné les travaux de la société SPTCL et ne disposait donc que d’un délai de 5 ans, et non pas 10 ans, pour agir contre ce constructeur (que ce soit en application de l’article 2224 du code civil ou L.110-4 du code de commerce).

Ensuite et surtout, la Cour de cassation souligne les conséquences d’une demande d’expertise in futurum, avant tout procès, sur l’interruption ou la suspension du délai de prescription.

En l’espèce, les propriétaires du terrain avaient demandé une expertise judiciaire tant à l’encontre de la société Bouygues Immobilier que contre la société STPCL, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Or, Bouygues Immobilier n’avait elle-même formé aucune demande d’expertise contre STPCL, puisque l’expert avait été désigné à l’égard de toutes les parties (les propriétaires, Bouygues Immobilier et STPCL).

Or, rappelle la Cour de cassation, le caractère interruptif de prescription de la demande d’expertise, puis la suspension de la prescription pendant les opérations d’expertise, ne profitent qu’au créancier (de l’obligation de réparation) qui a pris l’initiative de la mesure d’instruction.

En effet, la demande d’expertise, à condition qu’elle soit accueillie, fait repartir à zéro le délai d’action en responsabilité (interruption), et ce délai est gelé (suspension) pendant toute la durée des opérations d’expertise.

Mais la règle ne profite qu’à la partie qui a demandé la mesure d’instruction, et pas à toutes celles qui ont participé à l’expertise si elles n’ont rien demandé elles-mêmes.

Ainsi, quand bien même l’expertise mettait en présence l’ensemble des parties concernées, il appartenait à Bouygues Immobilier d’assigner elle-même STPCL en extension à son égard de la mesure d’instruction, pour interrompre puis suspendre le délai de prescription.

En l’absence d’une telle assignation, l’action en responsabilité formée par Bouygues, le 14 décembre 2015, soit plus de 5 ans après qu’elle a connu les désordres, a été déclarée irrecevable par la Cour de cassation. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait jugé le contraire, est ainsi censuré.

La solution n’est pas nouvelle et résultait d’un arrêt du 31 janvier 2019 (Civ. 3ème, 3 janv. 2019, pourvoi n°18-10.011, publié au Bulletin), que Bouygues Immobilier et son conseil ne pouvaient évidemment pas connaître lors de l’expertise menée en 2010…

En pratique, chaque constructeur ou intervenant à une opération de construction doit donc être vigilant. Lorsqu’une expertise judiciaire est sollicitée, il devra s’assurer d’appeler lui-même aux opérations d’expertise l’intervenant (constructeur sous-traitant, assureur…) contre lequel il pourrait vouloir ensuite agir au fond. Et ce, quand bien même cet intervenant serait déjà partie à l’expertise, en y ayant été attrait par une autre partie.

Loi Carrez et preuve judiciaire de la superficie du bien vendu

Civ. 3ème, 5 mars 2020, pourvoi n°19-13.509 (P+B+I)

L’action en réduction du prix de vente sur le fondement de la loi Carrez (article 46 de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la loi du 18 décembre 1996) impose à l’acquéreur de prouver que la superficie du bien qu’il a acheté (un lot de copropriété) est inférieure de plus d’un vingtième (5%) à celle qui lui a été garantie par le vendeur.

Habituellement, l’acquéreur qui veut aménager les lieux s’aperçoit que la superficie réelle semble inférieure à celle qui lui a été vendue, et fait réaliser un nouveau métrage par un diagnostiqueur ou un géomètre-expert. Si ce métrage confirme ses soupçons, il demande amiablement une réduction du prix au vendeur (s’il en a encore le temps). En cas d’échec de cette tentative amiable, l’acquéreur dispose théoriquement d’une option : soit il demande une expertise judiciaire (tout en agissant au fond pour demander la réduction du prix), soit il agit directement en réduction du prix, sans passer par l’étape d’une expertise judiciaire, s’il estime disposer de preuves suffisantes de l’insuffisance de superficie.

On ne saurait que trop recommander de solliciter une expertise judiciaire, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile (mais en agissant immédiatement après en réduction du prix, quitte à demander un sursis à statuer au juge du fond, car la demande d’expertise n’interrompt ni ne suspend le délai de forclusion de l’action, qui est d’une année à compter de la vente).

Ce n’est pas l’option qu’a choisie l’acquéreur dans les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 5 mars 2020. Fort de deux métrages amiables réalisés à sa demande, établissant que la superficie réelle était inférieure de plus de 5% à la superficie vendue, le vendeur avait directement agi en réduction du prix de vente.

Son action avait été rejetée par la cour d’appel de Toulouse au motif que les éléments de preuve produits aux débats (les deux métrages amiables) n’avaient pas été établis contradictoirement (en présence de toutes les parties et signé par elles).

En effet, le juge ne peut fonder sa décision sur un rapport d’expertise amiable qui n’a pas été établi de manière contradictoire. Cependant, comme le rappelle la Cour de cassation, la règle ne vaut qu’en présence d’un élément de preuve unique. Dès lors que plusieurs éléments de preuve, même non contradictoires, sont produits par une partie, et peuvent être discutés contradictoirement dans le cadre du débat judiciaire, le juge ne peut les écarter et peut fonder valablement sa décision sur ces pièces.

En l’espèce, la cour d’appel était bien saisie de deux métrages amiables réalisés à la demande de l’acquéreur, ce qu’elle avait constaté. Elle ne pouvait donc écarter ces pièces et devait statuer sur la demande de réduction du prix. La solution aurait été différente s’il n’y avait eu qu’un seul métrage amiable effectué à la demande de l’acquéreur.

Dispense d’autorisation du syndic pour agir en défense

Civ. 3ème, 27 févr. 2020, pourvoi n°19-10.887, P+B+I

Pour agir en justice, le syndicat des copropriétaires (la copropriété) doit être représenté par son syndic. Le syndic doit lui-même, sauf exceptions, avoir été habilité par l’assemblée générale des copropriétaires pour agir au nom du syndicat. Cette règle est posée par l’article 55 du décret du 17 mars 1967, modifié en dernier lieu par le décret du 18 septembre 2019.

Rappelons que le syndic peut être dispensé d’autorisation dans certains cas et notamment :

  • Pour une action en recouvrement de créance ou la mise en œuvre de mesures d’exécution forcée (mais il devra être habilité s’il s’agit d’une saisie de lot de copropriété) ;
  • Pour obtenir une mesure conservatoire ou agir en référé ;
  • Pour défendre à une action en justice intentée contre le syndicat.

Par son arrêt du 27 février 2020, la Cour de cassation vient confirmer l’extension du champ de l’exception portant sur ce dernier cas, à savoir la défense à une action dirigée contre le syndicat.

Dans cet arrêt, en effet, le syndic ne s’était pas contenté de défendre à l’action dirigée contre le syndicat par un copropriétaire se plaignant d’infiltrations depuis la toiture-terrasse, mais avait également appelé en garantie l’assureur de la copropriété. Or, pour cet appel en garantie, le syndic avait nécessairement introduit une action, au fond, et l’avait fait sans habilitation de l’assemblée générale.

Par l’arrêt évoqué, la Cour de cassation énonce que « le syndic n’a pas à être autorisé par l’assemblée générale des copropriétaires pour défendre à l’action introduite à l’encontre du syndicat et former une demande en garantie contre l’assureur de la copropriété ».

La nouveauté porte sur le membre de phrase souligné, qui n’est pas visé par l’article 55 du décret au titre des exceptions admises pour la dispense d’habilitation.

La Cour de cassation permet ainsi au syndic d’attraire l’assureur de la copropriété à l’instance, sans perdre le temps d’une demande d’habilitation (qui peut être régularisée en cours d’instance). La solution n’est pas totalement nouvelle. Comme le souligne la Cour de cassation elle-même dans son arrêt, elle avait été admise auparavant, par un arrêt non publié rendu en 2004 et par un arrêt publié plus ancien, rendu le 7 janvier 1981, à l’égard de l’appel en garantie à l’encontre d’un copropriétaire ou d’un architecte.