L’agent commercial ne doit pas nécessairement disposer du pouvoir de modifier les prix des biens ou prestations de son mandant

Com., 2 déc. 2020, pourvoi n°18-20.231

Cet arrêt de revirement, dont la solution n’est pourtant pas une surprise, intéressera tous ceux qui exploitent une activité sous le statut d’agent commercial (art. L.134-1 et suivants du code de commerce), dans l’ombre d’un mandant omnipotent ou, du moins, dominant.

Rappelons que l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux.

L’agent commercial bénéficie d’un statut protecteur garanti par les dispositions précitées, qui résultent de la transposition de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.

Encore faut-il, pour bénéficier de cette protection, pouvoir être qualifié d’agent commercial, indépendamment des termes du contrat, qui ne lient pas le juge.

Il s’agissait donc ici de savoir si l’agent commercial devait, pour être qualifié comme tel, disposer d’un pouvoir de négocier, dans le sens de « modifier » le prix des biens ou services proposés par son mandant.

Et la question se pose, comme dans l’arrêt étudié, lorsque l’agent commercial ne dispose d’aucun pouvoir de négocier les prix des biens ou services qu’il doit commercialiser pour son mandant. Tel est le cas lorsque le mandant arrête ses tarifs de manière fixe.

Jusqu’à son arrêt du 2 décembre 2020, la Cour de cassation considérait que l’agent qui ne disposait d’aucune marge de négociation sur les prix des biens ou services de son mandant n’était pas un agent commercial (on citera les deux arrêts rappelés par la Cour : Com., 14 juin 2005, pourvoi n°03-14.401 -pouvoir de négocier ; Com, 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.290 -pas de pouvoir de négociation, ainsi que Com., 19 juin 2019, pourvoi n°18-11.727).

Cependant, par un arrêt du 4 juin 2020 (C-828/18), la Cour de Justice de l’Union Européenne, saisie d’une question préjudicielle par le tribunal de commerce de Paris, est précisément venue décider que « l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial, au sens de cette disposition ».

C’est donc très logiquement qu’au vu de cet arrêt, qu’elle rappelle, la Cour de cassation a elle-même modifié sa jurisprudence, et complété la définition d’agent commercial prévue par l’article L.134-1 du code de commerce en énonçant que :

« doit désormais être qualifié d’agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux, quoiqu’il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services ».

On notera au passage que la Cour de cassation étend logiquement la solution de la CJUE à l’agent chargé de commercialiser des prestations de services, et non pas seulement de vendre des marchandises.

Le pouvoir de modifier les prix ne participe donc pas de l’essence du contrat d’agent qui doit négocier des contrats, de manière indépendante et permanente.

Cette solution rassurera les membres de nombreux réseaux de distribution ou de commercialisation, sous statut d’agents commerciaux, qui ne disposent pas toujours du pouvoir de modifier le prix de la prestation de leur mandant, et qui bénéficieront désormais du statut d’agent commercial.

Ces réseaux se déploient dans des domaines très divers, et notamment dans celui de la vente immobilière, pour lequel un agent immobilier peut créer un réseau de conseillers, qui sont ses agents commerciaux sans être eux-mêmes agents immobiliers au sens de la loi Hoguet du 2 janvier 1970. Si certains réseaux laissent une grande liberté à leurs agents commerciaux sur la négociation des commissions, d’autres sont plus rigides et le contrat d’agent commercial relève alors parfois du contrat d’adhésion…

22 déc. 2020

L’acquisition d’un immeuble par prescription trentenaire par le titulaire d’un titre de propriété non publié

Civ. 3ème, 17 déc. 2020, pourvoi n°18-24.434

C’est une affaire à rebondissements sur laquelle vient de se prononcer la Cour de cassation. L’enjeu : savoir si le titulaire d’un titre de propriété immobilière non publié peut invoquer sa possession de l’immeuble depuis plus de trente ans contre celui dont la propriété sur le même immeuble est reconnue par un titre régulièrement publié…

L’affaire débute en 1961 : le propriétaire d’une parcelle vend une partie de celle-ci à un propriétaire de parcelles voisines, par acte sous seing privé. L’acquéreur prend possession de la parcelle vendue, qu’il utilise comme parking desservant un restaurant, mais décède avant la régularisation de l’acte authentique. Ses ayants droit obtiennent un jugement valant vente en 1976, confirmé par arrêt d’appel irrévocable en 1980 (rendu sur renvoi de cassation).

Ce jugement valant vente n’est jamais publié, mais la parcelle est occupée par les bénéficiaires du jugement.

Par la suite, les ayants droit du propriétaire initial (qui avait vendu la parcelle litigieuse en 1961), vendent de nouveau ladite parcelle, par acte du 23 août 1995, à une société Prevalim. Cette société publie son titre de propriété.

Ainsi, la parcelle a été vendue deux fois : d’abord à un premier acquéreur qui n’a jamais publié son titre de propriété mais occupe effectivement la parcelle, ensuite à un second acquéreur qui a publié son titre mais qui, par hypothèse, n’occupe pas la parcelle.

Quelques années plus tard, en 2013, la société Prevalim fait assigner les occupants de la parcelle litigieuse pour les faire condamner à libérer les lieux.

Ces derniers, qui n’ont pas publié leur titre de propriété résultant de l’arrêt d’appel de 1980, se prévalent alors de la possession de la parcelle, qu’ils occupent depuis 1961…

Comment régler ce conflit de propriété entre en possesseur trentenaire et un propriétaire titré ?

La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 4 septembre 2018, estime que l’occupant de la parcelle aurait dû publier son titre, résultant de l’arrêt d’appel de 1980 et que, ne l’ayant pas fait, il ne peut se prévaloir de la possession trentenaire. La cour d’appel accueille ainsi la demande d’expulsion formée par la société Prevalim, second acquéreur.

La cour d’appel a, en effet, considéré que les deux titres étant soumis à la publicité foncière, celui qui avait été effectivement publié devait l’emporter. Et elle juge ainsi que celui qui dispose d’un titre non publié ne peut se « rattraper » en invoquant les règles de la prescription acquisitive trentenaire.

La Cour de cassation ne l’entend cependant pas ainsi, et censure l’arrêt de la cour de Lyon.

Au visa des articles 712 et 2272 du code civil, elle rappelle simplement que « la prescription trentenaire peut être opposée à un titre ». Le premier texte prévoit que « la propriété s’acquiert aussi (…) par prescription », tandis que le second dispose (al. 1er) que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Ainsi et en définitive, l’absence de publication d’un titre de propriété ne prive pas son titulaire du droit d’invoquer la prescription acquisitive, s’il en réunit par ailleurs les conditions (ce que devra déterminer la cour d’appel de renvoi dans cette affaire).

Le 17 déc. 2020

L’occupant d’une chambre en EHPAD n’en est pas le locataire

Civ. 3ème, 3 déc. 2020, 2 arrêts (pourvoi n°20-10.122 ; pourvoi n°19-19.670)

A l’occasion de deux dossiers présentant des faits voisins (et dramatiques), la Cour de cassation énonce, par deux arrêts du même jour, que le régime du contrat de bail, résultant des articles 1713 et suivants du code civil (à défaut de statut spécial), est inapplicable au contrat de séjour dans un établissement accueillant des personnes âgées.

Dans le premier arrêt (pourvoi 20-10.122), un incendie s’était déclaré dans la chambre de l’occupant d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Dans le second arrêt (pourvoi n°19-19.670), l’incendie était survenu dans un appartement dépendant d’une résidence pour personnes retraitées, dont l’occupant avait péri.

Dans les deux cas, l’occupant avait conclu un contrat de séjour, au sens de l’article L. 311-4 du code de l’action sociale et des familles, pour l’un avec l’Ephad, pour l’autre avec la résidence de services.

La question soumise à la Cour de cassation était très claire : un tel contrat, qui porte à la fois sur la jouissance d’un logement et sur des services à la personne, plus ou moins nombreux, peut-il s’analyser, au moins pour partie, en un bail ?

L’enjeu était ici de savoir si l’occupant pouvait être considéré comme un locataire et, comme tel, présumé responsable de l’incendie survenu dans les lieux « loués », sauf preuve contraire (comme le prévoit l’article 1733 du code civil).

La Cour de cassation tranche par la négative : le contrat de séjour exclut le statut du bail. La Cour régulatrice écarte ainsi la position des deux cours d’appel (Caen et Reims), qui avaient considéré qu’une application distributive du contrat (bail et prestation de services) pouvait être opérée.

Dans l’affaire ayant donné lieu au second arrêt, les prestations complémentaires (à la mise à disposition des lieux), qui consistaient en un service de repas, un dispositif d’alarme et des animations, étaient pourtant facultatives…

La Cour de cassation affirme ainsi un régime unitaire, dès lors que la convention, quelles qu’en soient les modalités, est un contrat de séjour.

Les retraités peuvent ainsi continuer de fumer au lit sans inquiétude.

11 déc. 2020